DISCUSSION INTERGÉNÉRATIONNELLE – SANS TABOU | 28 SEPTEMBRE 2024 – 14 À 19H À MONTRÉAL 

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Origine

Jusqu’à récemment, il n’existait pas de terme pour désigner les crimes regroupés aujourd’hui sous le concept de génocide. En 1943, pour dénoncer les massacres des Juifs par les Nazis, Winston Churchill avait parlé d’un « crime sans nom ». C’est Raphaël Lemkin, un homme de droit américain d’origine juive polonaise, qui créa le mot génocide en 1944. La racine du terme vient du mot grec genos qui signifie espèce et du suffixe latin cide, de caedere qui veut dire tuer. Il peut être rapproché à certains mots composés aussi du suffixe ide comme homicide et fratricide.

Signification

« Par génocide, nous entendons la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique ».
Source : Revue d’Histoire de la Shoah : https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah-2008-2-page-511.htm
Raphaël Lemkin

… le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membres du groupe; b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
Organisation des Nations Unies (ONU)

Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide adoptée, le 9 décembre 1948. Source : Musée de l’Holocauste de Montréal : Ensemble contre le génocide : http://genocide.mhmc.ca/fr/

Il est à noter que la contribution de Lemkin et la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ont conduit à la création du Tribunal international pour les crimes dans l’ex-Yougoslavie (TPY, 1993) et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR, 1994). La définition du génocide de l’ONU, fruit de longues tractations entre les pays membres, ne fait pas l’unanimité et elle est difficile à comprendre pour beaucoup.

Ainsi, dans le cas du génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda, bourreaux et victimes ont leur propre définition du génocide.

Bourreaux
Ils utilisent le terme codé Gukora = travailler pour désigner l’entreprise d’extermination des Tutsi. Tuzabatsembatsemba = nous vous exterminerons ou nous les exterminerons, était le cri de guerre des bourreaux tout au long du génocide.

Rescapés du génocide

« Le génocide, c’est quand l’humanité tire un trait sur vous :
Quand sous vos yeux des amis, des connaissances, des maris, des épouses se transforment en tueurs,
Quand votre cœur saigne de n’avoir plus de voisin pour vous porter secours alors que votre agonie dure des mois,
Quand votre humanité vous est déniée,
Quand on tue des enfants pendant qu’on évacue des chiens,
Quand nul ne songe à votre désillusion le jour où vous découvrez qu’ils vous ont regardé vous faire découper à la machette ».
Source : Annick Kayitesi-Jozan, Même Dieu ne veut pas s’en mêler.
Annick Kayitesi-Jozan

« …j’aime bien comparer le génocide à un cancer … tous ceux qui ont connu le Rwanda du 94 de près ou de loin ont eu cette maladie-là du cancer du génocide… On sait qu’on va vivre avec, qu’il ne va jamais partir ». Source. Projet réalisé par Page-Rwanda : La rencontre des survivants de génocides.
Frédéric Mugwaneza

Étape du génocide

“We have learned important lessons. We know more keenly than ever that genocide is not a single event but a process that evolves over time, and requires planning and resources to carry out. As chilling as that sounds, it also means that with adequate information, mobilization, courage and political will, genocide can be prevented.” Secretary-General Ban Ki-moon at the New York launch of Kwibuka20, the 20th commemoration of the Rwanda genocide.

Clarification

Étant donné que le génocide de 1994 au Rwanda n’a pas été perpétré contre tout le peuple rwandais mais bien contre les Tutsi, il faut constamment rappeler que les termes ci-après souvent utilisés sont inexacts ou incomplets : « génocide rwandais »; « génocide au Rwanda »; « génocide du Rwanda »; « génocide de 1994 au Rwanda »; etc. La terminologie « génocide des Tutsi » qui risque de prêter à confusion est aussi à éviter car certains pourraient l’interpréter comme le génocide commis par les Tutsi. La seule terminologie exacte et reconnue par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU) est : « Génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda », « 1994 Genocide against the Tutsi in Rwanda », en anglais. En abrégé, en français on dira : « Génocide contre les Tutsi au Rwanda » et en anglais : « Genocide against the Tutsi in Rwanda ». Source : UN Resolution : A/72/L.31 International Day of Reflection on the 1994 Genocide against the Tutsi in Rwanda.

D’après Gregory H. Stanton, professeur, chercheur et écrivain du génocide, le génocide suit un processus complexe mais prévisible. Il a identifié 10 étapes de développement d’un génocide qui ne suivent pas nécessairement un ordre rigide mais qui peuvent coexister et se chevaucher.
Source :: http://genocidewatch.net/;http://genocide.mhmc.ca/fr/

Les étapes

  1. Classification
  • Catégories pour distinguer les gens entre « nous et eux » par la nationalité, la race, l’ethnie, la religion, etc.
  • Rwanda : Distinction entre Hutu, Tutsi, Twa par les cartes d’identité. Le 1er janvier 1932, la Belgique, qui a reçu de la Société des Nations le mandat de gouverner le Rwanda-Urundi en 1924, introduit des cartes d’identité à caractère ethnique distinguant Hutu, Tutsi et Twa. Ces cartes seront largement utilisées par la première République (1962-1973) et la deuxième République (1973-1994) pour promouvoir une idéologie raciale et raciste au Rwanda. Source : http://unictr.irmct.org/en/genocide
  1. Symbolisation
  • Identification des gens par des noms : Allemands vs Juifs; Hutu vs Tutsi vs Twa; distinction par des vêtements, des couleurs, des symboles.
  • Rwanda : Identification par l’apparence physique, la taille, la forme du nez.

La classification et la symbolisation se retrouvent dans toutes les sociétés. Elles deviennent problématiques quand elles conduisent à la déshumanisation

  1. Discrimination
  • Le groupe dominant utilise la loi et le pouvoir pour refuser aux groupes ciblés leurs droits.
  • Rwanda : Discrimination des Tutsi en éducation, dans la fonction publique, l’armée et la police. Certains qualifiaient les Tutsi d’étrangers dans leur propre pays.
  1. Déshumanisation
  • Par des tactiques de déshumanisation, déni de l’humanité du groupe victime assimilé à des animaux, des insectes ou des maladies. La propagande haineuse incite le groupe dominant à considérer les membres du groupe ciblé comme étranger et sous-humain.
  • Rwanda : Les « media de la haine » décrivent les Tutsi comme des serpents, des cancrelats, des maladies. Pendant le génocide, la Radio-télévision des mille collines (RTLM) répétait inlassablement : « Tuez tous les cancrelats ». « Si cette maladie n’est pas traitée immédiatement, elle détruira tous les Hutu ».
  1. Organisation
  • Planification du génocide généralement par l’état qui utilise le pouvoir politique, l’armée, les milices, etc.
  • Rwanda : Formation, entraînement et armement de la milice « Interahamwe ». Fourniture en catimini des armes, principalement des machettes à des Hutu.
  1. Polarisation
  • Amplification des différences entre les groupes par une propagande de haine polarisante.
  • Rwanda : Les « media de la haine » véhiculent une idéologie raciste virulente (voir les 10 commandements du Hutu du Journal Kangura); démonstrations de force des milices « interahamwe» qui molestent impunément les Tutsi.
  1. Préparation
  • Identification des victimes; obligation de porter des symboles; préparation des listes de mise à mort; mise en place des structures du génocide.
  • Rwanda : Constitutions des équipes d’auto-défenses civiles pour lutter contre l’ « ennemi »; mise en place des barrières; obligation de porter sur soi la carte d’identité.

 

  1. Persécution
  • Mise à part des victimes en raison de leur identité ethnique ou religieuse; expropriation des victimes; déplacement forcé des victimes; perpétration d’actes de génocide pour tester la réaction de la communauté internationale.
  • Rwanda : Identification des maisons des victimes; regroupement des victimes dans des lieux publics tels les églises, les bureaux communaux de l’administration; appropriations des biens des victimes « kubohoza»; actes de génocide aux barrières.
  1. Extermination
  • Début des massacres qui deviennent vite des meutres de masse appelés génocide. Les génocides sont très souvent commis par les états. Les viols sont utilisés comme une arme de guerre. Les viols de masse de femmes et de filles sont une caractéristique de tous les génocides modernes. Un contexte de guerre peut masquer le caractère génocidaire des massacres.
  • 7 avril 1994, début du génocide contre les Tutsi. En 100 jours, les agents administratifs, l’armée, la gendarmerie, les milices avec la participation active d’un bon nombre de Hutu ordinaires, hommes et femmes, ont massacré sans pitié 1 074 017 Tutsi de tout âge. Source : Rapport du ministère rwandais de l’administration du territoire publié en juillet 2000.
  • Le viol des filles et femmes tutsi a été pratiqué à grande échelle et il a été utilisé comme arme de génocide. Kubohora est le terme codé utilisé par les bourreaux pour nommer ces cas de viols et violences sexuelles. Le viol d’hommes et de garçons aurait aussi été pratiqué par certains bourreaux, mais il reste à documenter. Pour la première fois, 2 septembre 1998, dans le jugement historique de Jean-Paul Akayesu, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a reconnu le viol comme crime de génocide.
  • La période du génocide est souvent faussement désignée par les gens comme une période de guerre car le génocide est survenu dans un contexte de guerre commencée le 1er octobre 1990 par le Front patriotique rwandais (FPR) contre le gouvernement rwandais. On entend souvent dire : « Pendant la guerre » au lieu de : « Pendant le génocide ».
  1. Déni :
  • Négation du génocide, le déni est présent pendant et après le génocide. Manifestations du déni : refuser toute responsabilité, faire disparaître les preuves, blâmer la guerre, rejeter la faute sur les victimes.
  • Rwanda : dénégation de participation au génocide, complicité pour cacher la vérité, refus d’indiquer où sont les corps des victimes, tentatives de faire croire à un double génocide, refus de participer aux commémorations, refuser d’utiliser la terminologie «génocide contre les Tutsi du Rwanda », pour utiliser des termes vagues, comme tragédie rwandaise.